19/12/2009
Christian Bobin & Pascal Quignard
Bloc-Notes, 18 décembre / Les Saules
La nuit venue, je reprends avec joie les notes de mes récentes lectures, déjà évoquées dans ces colonnes, en octobre dernier, soit La barque silencieuse de Pascal Quignard auquel répond Les ruines du ciel de Christian Bobin. Chacun à sa manière célèbre le temps, l’urgence de l’écrit, la relation à l’histoire de la pensée, le langage, la nature, la vie ou la mort qui n’est après tout pas nécessairement catastrophique … Ce modeste florilège vaut mieux être découvert dans le contexte original de ses auteurs, bien entendu, mais je vous le partage néanmoins avec beaucoup de plaisir!
Pascal Quignard
Montrer son dos à la société, s’interrompre de croire, se détourner de tout ce qui est regard, préférer lire à surveiller, protéger ceux qui ont disparu des survivants qui les dénigrent, secourir ce qui n’est pas visible, voilà les vertus. (p. 58)
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Nul ne peut se plaindre de la vie : Elle ne retient personne. (p.81)
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A quoi sert d’écrire ? A ne pas vivre mort. (p. 98)
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Il faut prendre exemple sur les chats qui avancent prudemment leurs coussinets sur les gouttières des toits. Il faut regarder comment ils s’arquent pour bondir avant d’atteindre le toit suivant. Moitié hardi, moitié craintif. Cette prudence est toute la politique du monde. (p. 106)
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Est libre celui qu’on ne peut contraindre. (…) Est libre l’homme qui n’est pas esclave (…). Est libre celui qui ne demande d’autorisation à personne. Est libre celui qui ne réfère à aucune instance. Tout homme est une citadelle de tyrans qu’il faut faire sauter. (p. 107)
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La mort qui vient n’a nullement à être fuie comme le prétend l’absurde morale tonique, positive, religieuse des modernes. La mort a sa saison, qui n’est pas plus rebutante que les autres. Quand la saison de la mort est là – ce que tout le monde appelle hiver – il arrive que le ciel de nouveau recoure au bleu intense. La terre craque sous les pas. La mare n’est jamais aussi propre que quand elle est gelée. Les feuilles ont disparu. Les fleurs, les oiseaux, les hommes, les noms, tout a disparu. Il fait si clair. (p. 124)
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La chenille ignore le papillon dont elle construit la coque de métamorphose. L’araignée file son filet de prédation sans connaître la proie. De la même manière la musique son chant. La langue son livre. (p. 135)
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Durer est celui qui sait retirer sa main avant le trait de trop. (p.160)
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Le vent du large souffla brusquement sur nous à l’instant où nous fûmes parvenus en haut de la falaise. L’air sur la falaise était une énorme vague transparente qui se perdait dans le ciel, rebroussant soudain son souffle. Le bleu du ciel gagnait l’habit des hommes, de nous tous qui nous tenions penchés en avant, regardant la grève en contrebas, la mer en contrebas, la barque qui venait silencieusement vers l’île, penchés au-dessus de la paroi de tuf qui s’était effritée sur la grève noire. C’était d’une extraordinaire beauté. (p.238)
Christian Bobin
Les livres sont la résidence secondaire de l’âme. Quand elle pousse les volets de papier contre le mur, une lumière entre partout dans la pièce. (p. 15)
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L’écriture est une mendiante qui donne une pièce en or à chaque passant. (p.35)
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Sur son échafaudage de notes, Jean-Sébastien Bach lave en sifflant les vitres de l’éternel. (p. 38)
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Toutes nos pensées reviennent à chercher la clé d’un paradis dont la porte est ouverte. (p. 53)
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Les moineaux par leurs chants construisent des monastères qui durent une seconde. L’âme surprise dans leurs cloîtres ne craint plus de mourir. (p. 58)
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La vie a besoin des livres comme les nuages ont besoin des flaques d’eau pour s’y mirer et s’y connaître. (p. 68)
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La jeunesse est le rire du malheur. (p. 70)
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La pluie qui fait chanter les pierres est la madone des refusés. (p.92)
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Je demande à un livre qu’il me donne du courage et ne me trompe sur rien. (p. 99)
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Les yeux des pauvres sont des villes bombardées. (p. 115)
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Je suis vivant, assis devant une table en bois, je regarde la lumière pleuvoir sur le jardin. Qu’irais-je demander d’autre ? (p. 147)
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La première neige est le sourire des morts. (p. 148)
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Nous vivons au pied d’une montagne enneigée qui dès l’instant de notre naissance a commencé à s’écrouler sur nous. (p. 181)
Pascal Quignard, La barque silencieuse (Seuil, 2009)
Christian Bobin, Les ruines du ciel (Gallimard, 2009)
03:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
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