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25/01/2011

Devoir de vacances 1/3

Bloc-Notes, 25 janvier / Les Saules

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Il est des tâches qu'invariablement, je retarde au fil des ans. Celle par exemple, de ranger ma bibliothèque, non pas en raison de la poussière qui s'y accumule comme sur une bonne réserve de Bordeaux, mais parce que tout l'espace de ma chambre est occupé par des livres en attente: sur ma table de nuit, au pied de mon lit, même sur l'unique fauteuil où une cinquantaine d'ouvrages manquent d'être lus ou relus, classés ou offerts, voire d'être intégrés avec un commentaire sur le blog de La scie rêveuse... Je repousse jusqu'au dernier instant cette ingrate besogne avec tout l'aplomb d'une paresse congénitale, car je sais qu'avant de m'y atteler, il me faut déménager une centaine de livres de ma bibliothèque actuelle et les déplacer à l'autre bout de l'étage de notre maison, dans le bureau de mon père, que je squatte, faute de place. 

Le premier pas franchi, le plus difficile - mettre la main à la pâte, comme on dit chez nous -, je retrouve, comme un délicieux sortilège, ce contact physique au livre qui me confond au moment de sa lecture dans le temps, ce mélange d'odeurs, de papiers et d'encres qui porte la trace de voyages dans mes poches ou d'annotations, de passages significatifs tracés au stabilo. Tout un monde!

Et voici que je prends les livres de ma bibliothèque, l'un après l'autre - avec la menace d'une éviction - pour mesurer s'ils me sont encore d'une quelconque importance, porteurs d'apprentissage ou de vécu, et comme à chaque fois, j'accorde des grâces à profusion: A Maurice Blanchot dont la plupart des récits, tels Le dernier homme ou Au moment voulu ne parviennent plus à m'émouvoir mais ressemblent à un vitrail de jeunesse qui me bouleversait alors; à E.M. Cioran dont les écrits, à l'exception de La chute dans le temps, me confortaient dans un mal de vivre récurrent et qui aujourd'hui m'ennuient, me font rire ou me soulagent, m'aidant toutefois par leur présence singulière à mesurer le chemin parcouru; au peu sympathique Henry de Montherlant, dont Port-Royal et Mais aimons-nous ceux que nous aimons ont suscité à une certaine époque, de vrais bonheurs de lecture; à Julien Green qui, outre son Journal, m'a bouleversé avec Chaque homme dans sa nuit, un roman qui, je le crains, a dû terriblement vieillir. 

Beaucoup de tendresse en revanche, à retrouver la trace personnelle d'écrivains dans ma vie. Ceux qui m'ont dédicacé un livre qui ne m'a jamais quitté: Hector Bianchiotti pour Sans la miséricorde du ChristVirginie Lou pour Eloge de la lumière au temps des dinosauresYves Navarre pour Le coeur qui cogne, et plus près de nous, Jean-Louis Kuffer pour Les passions partagées, Olivier Adam pour A l'abri de rien, Katherine Pancol pour Vu de l'extérieur. 

Sans oublier, entre deux ouvrages, involontairement dissimulées, les lettres ou cartes postales, dont un message sensible et reconnaissant de Jacques Chessex, à la parution de son recueil de poèmes Le désir de la neige... 

Je me rappelle - ici, maintenant - devant l'étendue de tous ces livres, une phrase de Cicéron qui me chamboule tout soudain comme une évidence: Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu'il vous faut.  

Il va à l'essentiel, le bougre...

(à suivre)

00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jacques Chessex, Jean-Louis Kuffer, Katherine Pancol, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/10/2010

Le poème de la semaine

Jacques Chessex


Blanche est déjà la lune

Silencieux le vent qui bouge

Et je ne choisis pas quel souvenir

M'accompagnera cette nuit

Le croissant ancien sur la colline

Ou la maison allée au bas du fleuve

Qui m'emplit de mélancolie entre les rives


(Et le vide à ne pas oublier de la neige)


Si plus aucune blessure

Ou le sol revenu herbe ou cendre

Comme si l'humide, la buée

Descendaient dans les choses, la terre

Maintenant terre de printemps


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

05:24 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/01/2010

L'affaire Chessex, Acte 2

Bloc-Notes, 11 janvier / Les Saules

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Les écrits récents de Jacques Chessex – Le vampire de Ropraz, Un juif pour l’exemple – et d’autres plus anciens ont souvent prêté à polémique. Ce dernier récit de Jacques Chessex n’y fera pas figure d’exception, parce que la provocation fait partie intégrante de sa personnalité et que celle de Sade ne peut en rien atténuer ce parfum entêtant de malaise, de putréfaction ou de mort.

 

Pourtant, dans les premières pages, l’auteur joue cartes sur table : On ne s’étonnera pas, connaissant l’existence infâme de ce monstre, que sa fin fût aussi laide que sa vie et plus loin Il suffirait des exploits de cette relique, objet maudit à l’image de son ancien propriétaire, pour mesurer le danger qu’un tel homme a pu faire courir à la société, par-delà sa mort et sa condamnation à l’enfer. Le ton est donné: vif, acéré, dépourvu d'ambiguïté.

 

Le premier volet du livre est ainsi consacré aux derniers mois du Divin Marquis à l’asile d’aliénés de Charenton, dans une succession de tableaux décrits avec la précision d’un entomologiste, où aucun détail ne nous est épargné. Ni son escalade dans le vice, ni la fascination exercée sur son entourage, ni l’évolution clinique de sa maladie, prémice de sa mort prochaine.

 

Le second volet s’ouvre sur l’enquête menée par Jacques Chessex sur ce qu’il est advenu du crâne de M. de Sade. On y retrouve le style incomparable, l’imagination, le talent descriptif propre à ses autres oeuvres, ainsi qu’une matière qui prête infiniment à réflexion sur des thèmes qui lui sont chers : L’expression du mal, de l’art, de la mort : Fascinants et effrayants à la fois... C’est parce que l’homme est seul qu’il a si terriblement besoin de symboles. D’un crâne, d’amulettes, d’objets de conjuration. La conscience vertigineuse de la fin de l’être dans la mort. A chaque instant, la ruine. Peut-être faudrait-il regarder la passion d’un crâne, et singulièrement d’un crâne hanté, comme une manifestation désespérée d’amour de soi, et du monde déjà perdu.    

 

Ce dernier roman préfigure-t-il la propre fin de son auteur ? Quelques indices parmi les dernières pages du livre sont troublants à cet égard, dont la citation du poète Eichendorff, magnifique : Comme nous sommes las d’errer. Serait-ce déjà la mort ?

 

Le dernier crâne de M. de Sade refermé, j'éprouve le besoin de prendre l'air, de fouler la neige de la campagne genevoise, abondante comme elle ne l’a plus été depuis 1985. Une impression de plénitude, de libération, de distance bienfaisante face aux fureurs du monde m’envahit d’un manteau de douceur. Au cœur de cette promenade silencieuse, souvent accompagné de mes amis invisibles - auteurs, personnages, compagnons vivants ou disparus – je retrouve des sensations vraies, des joies simples, mais nul signe perceptible de Jacques Chessex dont ce livre, bien que littérairement accompli, ne sera pas parvenu à m’émouvoir et sera probablement vite oublié, contrairement à bon nombre de ses autres textes.   

 

Le moment est peut-être bien choisi pour relire L’économie du ciel, un vrai chef d’œuvre, celui-là !

10/01/2010

L'affaire Chessex, Acte 1

Bloc-Notes, 10 janvier / Cologny

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Il faut croire que, décidément, il ne se passe rien en Suisse Romande, pour que les médias consacrent autant de pages à la désormais affaire Chessex, où le tout Suisse Romande y va joyeusement de sa chansonnette. Dernier épisode dans l'édition du 9 janvier, sur deux pages dans les colonnes du quotidien Le Matin. Une large place y est consacrée aux stratégies de marketing, dont différents intervenants vantent l’efficacité sur le plan publicitaire et commercial. Encore un effort, et vous verrez qu’affublé de lunettes caractéristiques, Jacques Chessex ressemblera un jour à Harry Potter…

 

Je rappelle que le récit posthume de Maître Jacques, Le dernier crâne de M. de Sade- publié par les éditions Grasset et distribué par Diffulivre, diffuseur pour le marché suisse – se vend sous cellophane avec la mention « réservé aux adultes ».

 

Dans cette affligeante surenchère verbeuse, trois réflexions me semble-t-il s’imposent : La première, évidente, est qu’on ne parle que de l’emballage, nulle part du contenu. La seconde, pour dire que dans le journal cité un seul interlocuteur a remis l’église au milieu du village, soit Michel Moret, directeur des éditions de l’Aire : « En le vendant sous plastique, on prend aussi le lecteur suisse pour un arriéré et un pudibond. Et on met en doute la qualité de l’œuvre littéraire en la présentant comme une revue de sex-shop. »

 

La troisième pour rappeler que de nombreuses œuvres littéraires de qualité, par exemple Histoire de Juliette ou les prospérités du vice de D.A.F. de Sade, Trois filles et leurs mères de Pierre Louÿs, Histoire d’O de Pauline Réage ou plus récemment  Putain de Nelly Arcan, n’ont pas joui de ce traitement de faveur.

 

Enfin, pourrait être décelée, plus subtilement, une analogie entre le plastique du livre et celui du préservatif, celle qui montre du doigt le danger du désordre dont parle C.F. Ramuz dans un très court mais admirable texte qui n'a pas pris une ride, Conformisme, préfacé par un certain... Jacques Chessex.

 

Mais, trêve de sarcasmes : Demain, je vous parlerai de littérature, promis, juré, avec Le dernier crâne de M. de Sade !