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20/08/2014

Le poème de la semaine

Patrice de la Tour du Pin

 Les bois étaient tout recouverts de brumes basses, 
Déserts, gonflés de pluie et silencieux;
Longtemps avait soufflé ce vent du nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux, 
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace.  
 
Après avoir surpris le dégel de ma chambre, 
A l'aube je gagnai la lisière des bois; 
Par une bonne lune de brouillard et d'ambre, 
Je relevai la trace, incertaine parfois, 
sur le bord d'un layon, d'un enfant de septembre.   
 
Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
Ils se croisaient d'abord au milieu des ornières 
Où, dans l'ombre, tranquille, il avait essayé 
De boire, pour reprendre ses jeux solitaires 
Très tard, après le long crépuscule mouillé.  
 
Et puis, ils se perdaient plus loin parmis les hêtres 
Où son pied ne marquait qu'à peine le sol; 
Je me suis dit: il va s'en retourner peut-être
A l'aube, pour chercher ses compagnons de vol, 
En tremblant de la peur qu'ils aient pu disparaître   
 
Le jour glacial s'était levé sur les marais 
Je restais accroupi dans l'attente illusoire 
Regardant défiler la faune qui rentrait 
Dans l'ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et les corbeaux criards aux cimes des forêts   
 
Et je me dis: je suis un enfant de Septembre, 
Moi-même, par le coeur, la fièvre et l'esprit
Et la brûlante volupté de tous mes membres, 
et le désir que j'ai de courir dans la nuit Sauvage,
ayant quitté l'étouffement des chambres   
 
Il va certainement me traiter comme un frère, 
Peut-être me donner un nom parmi les siens; 
Mes yeux le combleraient d'amicales lumières 
S'il ne prenait pas peur, en me voyant soudain 
Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.   
 
Mais les bois étaient recouverts de brumes basses 
Et le vent commençait à remonter au nord, 
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d'autres voies en de mêmes espaces!   
 
Et je me dis: Ce n'est pas dans ces pauvres landes 
Que les Enfants de Septembre vont s'arrêter; 
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en ce soir, compris l'atrocité 
De ces marais déserts et privés de légende?  
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

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