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17/08/2013

Morceaux choisis - Ann Beattie

Ann Beattie

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Je passe la journée dans le parc, à méditer la proposition que Noel m'a faite de m'installer chez lui. Nous aurions plus d'argent... Nous passons tellement de temps ensemble de toute manière... Ou bien il pourrait emménager chez moi, si les grandes baies de mon appartement comptent autant. Je rencontre toujours des hommes raisonnables.

- Mais je ne t'aime pas, lui ai-je dit. Tu n'as pas envie de vivre avec une femme qui t'aime?

- Personne ne m'a jamais aimé et personne ne m'aimera jamais, a-t-il répondu. Je n'ai rien à perdre.

Je suis venue ici pour réfléchir à ce que j'ai à perdre. Rien. Alors, pourquoi est-ce que je ne sors pas de ce parc pour lui téléphoner au bureau et lui dire qu'à mon sens, c'est un projet très cohérent?

Un petit garçon joufflu passe vêtu d'une veste courte et d'un pantalon qui glisse. Il tient un bateau jaune. Il respire une telle joie de vivre que j'ai envie de l'aborder pour lui demander: Faut-il que j'emménage chez Noel? Pourquoi suis-je aussi réticente? Les jeunes ont une grande sagesse - certains des meilleurs comme des pires penseurs l'ont cru: Wordsworth, les disciples du gourou Maharaji... Faites les méditations, ou je vous battrai avec un bâton, leur disait-il. Donne-moi la réponse, petit, sinon je te prends ton bateau.

Je m'affale sur un banc. Ensuite. Noel va me demander en mariage. Il essaie de me piéger. Pire, il n'essaie pas de me piéger, mais veut que j'emménage chez lui uniquement par souci d'économie. Il ne m'aime pas. Puisque personne ne l'a jamais aimé, il est incapable d'éprouver de l'amour pour quiconque. Ou peut-être que si?

Je trouve une cabine téléphonique et j'attends devant qu'une femme munie d'un sac à provisions en sorte. Elle a une bouche de poisson, peinte en orange vif. Je n'ai pas mis de rouge à lèvres. J'ai enfilé un imperméable sur ma chemise de nuit, emprunté des chaussettes à Noel, et je porte des sandales.

- Noel, dis-je quand il décroche, tu parlais sérieusement lorsque tu m'as déclaré que personne ne t'avait jamais aimé?

- Bon Dieu, c'était déjà assez embarrassant de le reconnaître, rétorque-t-il. Il faut en plus que tu me questionnes à ce sujet?

- J'ai besoin de savoir.

- Eh bien, je t'ai parlé de toutes les femmes avec lesquelles j'avais couché. Laquelle aurait pu m'aimer, à ton avis?

J'ai gâché sa journée. Je raccroche, je pose la tête contre l'appareil. Moi, dis-je tout bas. Je t'aime...

Ann Beattie, Sur une colline du Vermont / extrait, dans: Nouvelles du New Yorker (Bourgois, 2013)

traduit de l'américain par Anne Rabinovitch

image: Edward Hopper, Room in New York (journaldespeintres.com)

23:39 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Commentaires

bel extrait !!!oui merci !

Écrit par : serres | 18/08/2013

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