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12/10/2010

Fatou Diome

Bloc-Notes, 12 octobre / Les Saules 

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Les conditions de vie difficiles des émigrés dans la clandestinité et l'exil, loin des leurs, ont été souvent abordées en littérature, avec leur cortège d'espoirs, leurs rêves d'eldorados improbables, leurs désillusions au fil du temps qui passe. Les victimes, c'étaient eux, débarqués quelque part au sud de l'Italie ou de l'Espagne. Avec Fatou Diome - et sans atténuer le moins du monde leur chemin de croix - l'originalité du récit de Celles qui attendent tient dans l'évocation de ces femmes qui sont restées au pays. Epouses ou mères, réduites à la dépendance, à l'attente incertaine, au silence, au manque d'amour, à la solitude. Elles portaient jusqu'au fond des pupilles des rêves gelés, des fleurs d'espoir flétries et l'angoisse permanente d'un deuil hypothétique; mais quand le rossignol chante, nul ne se doute du poids de son coeur. Longtemps, leur dignité rendit leur fardeau invisible. Tous les suppliciés ne hurlent pas.

Cela se passe sur l'île de Niodior, au large du Sénégal, où l'auteur a vu le jour. Arame vit aux côtés d'un mari aigri qu'elle ne s'est pas choisi, qui pourrait être son père, dont la déchéance physique augmente encore ses rancoeurs: Figés dans la haine, comme deux prisonniers s'accusant réciproquement du même crime, mais condamnés à partager la même cellule. Son amie Bougna, quant à elle, vit très mal son statut de seconde épouse dont la progéniture ne connaît pas la réussite des enfants de la première. Quand le flacon est brisé, seuls les effluves du parfum demeurent. Maintenant que la deuxième épouse avait perdu les appas de sa jeunesse, le mari comprit très vite que sa première était d'une bien meilleure essence. Son tempérament placide en faisait naturellement un refuge idéal pour un homme vieillissant, fatigué des affres de l'amour.

Elles persuadent leurs fils respectifs, Lamine et Issa, que pour leur propre avenir et celui de leurs familles, il leur faut partir en Europe afin de trouver du travail, gagner de l'argent avant de revenir au pays, la réussite au bout de leurs souliers. Ils accueillirent la proposition des deux femmes comme une libération, car chacun d'eux redoutait le fait d'avoir à annoncer un voyage aussi risqué à sa mère. Soulagés et heureux de se savoir ainsi soutenus, leur futur départ pour l'Europe devint leur seul horizon. Pour une durée indéterminée, ils abandonnent ainsi dans l'île leurs épouses, Coumba et Daba...

Chronique sociale autant que portrait de familles attachant qui cerne avec beaucoup de réalisme et parfois d'humour ce coin de terre voué à l'indigence, Celles qui attendent est aussi un réquisitoire contre les méfaits de la polygamie et autres manifestations d'une société à l'africaine, construite par et pour les hommes. Fatou Diome, au passage, règle aussi quelques comptes avec cet ailleurs où l'herbe paraît si verte et plein d'espoir, alors que sans éducation ni instruction, on n'y est rien du tout. Enfin, elle pointe du doigt une certaine mentalité européenne en mal d'exotisme, compréhensive mais condescendante dont la fille de porcelaine avec laquelle Issa débarque un beau jour dans lîle, est la plus détestable illustration. 

Servie par une écriture riche en couleurs qui verse rarement dans l'excès ou la complaisance, Fatou Diome cerne avec ardeur et sincérité ce quotidien des femmes et d'un pays, le Sénégal que, malgré quelques coups de griffes, elle aime tant et lui voudrait une perspective d'avenir plus salutaire. 

Fatou Diome, Celles qui attendent (Flammarion, 2010)

04:37 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

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