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20/06/2012

Au bar à Jules - Du hasard

Un abécédaire - H comme hasard

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Alors que j'étais un jeune premier plutôt décalé, le propos de Jacques Monod - célèbre biologiste, professeur et directeur du Collège de France - concluant son ouvrage Le hasard et la nécessité, a longtemps voyagé dans ma tête, tel un météore qui refuserait obstinément de s'écraser sur la terre: L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le royaume et les ténèbres.

Il est vrai que le hasard - ou la chance? - a marqué bon nombre d'épisodes de ma vie: une armoire en bois massif qui s'est abattue dans mon dos à l'âge de neuf ans - à la suite d'un balancement suspect à l'une de ses portes - sans autres séquelles qu'une dent cassée; un choc frontal en scooter avec une Mercedes toute neuve à la descente du Salève, vingt ans plus tard, qui me vit atterir indemne dans un champ; enfin une rencontre de plein fouet, en piéton distrait, avec un tramway de la ligne 12 à Genève qui m'a projetté sur le trottoir - détail cocasse - devant une pharmacie du quartier de Plainpalais avec là aussi, une veine éclatée, spectaculaire mais sans danger! A trois reprises donc, j'en conclus que mon heure n'était pas encore venue, l'ayant ardemment souhaitée à l'époque des culottes courtes, et soudain réjoui de jouer les prolongations.

De quoi m'interroger tout de même. Au mot de hasard, je préfère sans doute aujourd'hui celui de providence, au sens le plus large du terme: cet étrange globe qu'on nomme le monde et qui, entre des mains parfois inconnues ou mystérieures, semble gouverner la vie... Le destin, ce mystère de la survie que tant de sans nom ont vécu - par une situation traumatisante, un accident de la route, un deuil ou pire - sans forger davantage de réponses que je ne le puis.

Demain, un autre hasard - par une cellule devenue folle et se multipliant en quelques secondes - me signifiera peut-être qu'il est temps. Et alors? La belle affaire... Tant que l'oeil s'accroche aux beautés du moment présent, tant que la douleur physique est aux abonnés absents, tant que les amitiés vraies supplantent les doléances les plus mesquines, tant que l'espérance et l'insurrection l'emportent sur le cynisme, chaque jour qui passe est un bal de lumière plutôt qu'une leçon de ténèbres. En compagnie de ce proche et insaisissable ami dont parle Blaise Pascal: Votre béatitude? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.

Pari tenu! 

Jean Monod, Le hasard et la nécessité (coll. Points Essais/Seuil, 1973)

Blaise Pascal, Les pensées (coll. GF/Flammarion, 2006)

image: Sophie Delaporte (http://www.sophiedelaporte.com)