22/04/2010
Les quatre saisons - 1a
Bloc-Notes, 22 avril / Les Saules
Ma saison préférée, à toutes les périodes de ma vie, est le printemps. Pour son réveil incertain à la vie, pour les couleurs de sa flore à dominante jaune avec les jonquilles évoquant le souffle de la jeunesse, rouge avec les tulipes prémices de passions simples, ou bleue avec les violettes et leur présence aussi discrète que les sensations vraies. Pour le prunelier rose, le pommier en fleur, le camélia épanoui après une longue attente. Pour la mésange bleue, le merle, le rougequeue à front blanc, le moineau domestique, la sittelle, le rougegorge familier, tout ce petit monde délivrant à l'aurore ses demandes et ses célébrations de la vie. Pour la solitude et la communion silencieuse sous le bleu profond du ciel par vent du nord dispersant les scories hivernales, les fissures mal-aimées, les chemins de traverses...
Bien mieux que je ne ne peux le faire, certains poètes ont écrit des textes admirables sur cet heureux temps. Gustave Roud, par exemple, dans Les fleurs et les saisons:
Le vrai porteur de joie, c'est cet homme sur la colline de mars ou d'avril, au coeur d'un pays immense à peine éveillé de l'hiver, avec le tait bleu des neiges mortes au revers des forêts et des haies, les villages humides aux replis de l'herbe d'étoupe, roses comme un buisson de bois-gentil. (...) Comme l'odeur de la première violette, comme cette perce-neige dans le verger ouverte sans tige au ras du sol effacent en nous d'un seul coup le souvenir des jardins de septembre épanouis, toute l'opulence d'une saison mûre et condamnée, ainsi le semeur debout dans l'air âpre, contre le ciel peuplé d'un délire d'alouettes, nous arrache enfin à ces images que nous avions amassées en nous pour nourrir la terrible traversée de l'hiver! Son geste nous délivre d'un passé trop lourd, ouvre devant nous la vierge étendue d'une année qui commence enfin. Le voici devant nous, tout proche. Il se relève, ayant fait glisser d'un sac dans l'autre le froment non plus fauve comme à l'automne, mais bleui par le vitriol. (...) Ce corps sait la mesure exacte du pas à prendre au long du sillon, cette main sait la poignée de froment qu'il faut saisir, ce bras sait l'ampleur du geste lanceur de graines. Regardons-le, cet homme tout hanté d'un rythme qu'il a su faire vivre au plus profond de sa chair. Combien seront-ils, aux années à venir, ceux qui s'en iront comme lui, de cette marche dansante, aux collines de l'avant-printemps?
Magnifique, n'est-il pas vrai?
Gustave Roud, Les fleurs et les saisons (La Dogana, 2003)
avec les photographies de l'auteur et une postface de Philippe Jaccottet
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Gustave Roud, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature; proses; livres | | Imprimer | Facebook |