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15/04/2012

Voix de femmes 1a

Bloc-Notes, 15 avril / Les Saules

littérature; poésie; anthologie; livres

Il est des livres que je voudrais porter à la connaissance du plus grand nombre, tant ils sont beaux, tant ils sont réussis, tant ils sont porteurs de germes d'espoir, de talents méconnus et expriment un formidable élan capable de résonner dans le coeur de tous. Tel est l'impression que laisse cet ouvrage intitulé Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier

Chargé de la réalisation de ce travail éditorial exceptionnel, Erhan Turgut, journaliste, graphiste et dessinateur de presse turc, a déjà collaboré à un autre projet similaire auprès du même éditeur: Non à la guerre - Anthologie / Poésies du monde - Photographies - Histoire qui sera évoqué ultérieurement; et c'est au poète Lionel Ray que revient le mérite de la sélection de ces oeuvres glânées sur les cinq continents, avec un constant souci d'exemplarité et d'éclat. 343 poétesses sont présentées dans Voix de femmes, 477 poèmes, 162 pays et peuples, 49 femmes photographes et 104 photographies de femmes à travers le monde.

Une entreprise tentée par bon nombre d'auteurs et d'éditeurs par le passé mais qui, la plupart du temps, s'est heurtée à une difficulté: celle d'accorder une place, à tout prix, aux écrivains d'un pays peu visité mais souvent au détriment de la qualité des textes, ou au contraire exposant toujours de mêmes auteurs déjà largement représentés dans d'autres anthologies. Rien de tel dans ce volume équilibré dans son choix, dans son classissisme ou sa modernité.

Avec une joie simple et sans fausse modestie, j'observe que plus de 350 poèmes de ce recueil me sont totalement inconnus, qu'ils élargissement mon horizon, me projettent vers d'autres cultures et me sensibilisent à des expressions de la douleur, de la révolte ou de l'amour dont il eut été triste que je ne les découvre pas avant de tirer ma révérence.

Cet ouvrage célèbre aussi la richesse créative des femmes: leur imagination, leur enracinement et leur courage fréquemment masqués, dépréciés et craints dans le paysage culturel, ici comme ailleurs, aujourd'hui comme hier.

Voix de femmes se présente sous la forme d'un album de 384 pages, grand format, relié, sur papier glacé avec parfois des textes sur deux colonnes. J'ajoute que son prix - 38 euros - est plus que raisonnable pour un ouvrage illustré d'une si grande qualité. 

Si vous êtes sensibles à la poésie, demandez à vos amis qu'ils vous offrent cette anthologie pour votre anniversaire, et si vous n'avez pas la patience d'attendre, cherchez-la ou commandez-la auprès de votre libraire préféré: elle vous réservera des moments de rare plénitude et ne quittera sans doute pas votre bibliothèque de si tôt...

Erhan Turgut et Lionel Ray: Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier (Turquoise, 2011)

20/04/2011

Le poème de la semaine

Saint John Perse

 

Nous n'habiterons pas toujours ces terres jaunes,

notre délice ...


L'Eté plus vaste que l'Empire

suspend aux tables de l'espace

plusieurs étages de climats.

La terre vaste sur son aire roule à pleins bords

sa braise pâle sous les cendres ...

couleur de soufre, de miel,

couleur de choses immortelles,

toute la terre aux herbes

s'allumant aux pailles de l'autre hiver ...

et de l'éponge verte d'un seul arbre

le ciel tire son suc violet.


Un lieu de pierres à mica!

Pas une graine pure dans les herbes du vent.

Et la lumière comme une huile ...

De la fissure des paupières

au fil des cimes m'unissant,

je sais la pierre tachée d'ouïes,

les essaims du silence aux ruches de lumière;

et mon coeur prend souci d'une famille d'acridiens ...


Chamelles douces sous la tonte,

cousues de mauves cicatrices,

que les collines s'acheminent

sous les données du ciel agraire ...

qu'elles cheminent en silence

sur les incandescences pâles de la plaine;

et s'agenouillent à la fin, dans la fumée des songes,

là où les peuples s'abolissent

aux poudres mortes de la terre.


Ce sont de grandes lignes calmes

qui s'en vont à des bleuissements de vignes improbables.

La terre en plus d'un point

mûrit les violettes de l'orage;

et ces fumées de sable qui s'élèvent

au lieu des fleuves morts,

comme des pans de siècles en voyage ...


A voix plus basse pour les morts,

à voix plus basse dans le jour.

Tant de douceur au coeur de l'homme,

se peut-il qu'elle faille à trouver sa mesure? ...

"Je vous parle, mon âme ...

mon âme tout enténébrée d'un parfum de cheval."

Et quelques grands oiseaux de terre,

naviguant en Ouest,

sont de bons mimes de nos oiseaux de mer.


A l'orient du ciel si pâle,

comme un lieu saint scellé des linges de l'aveugle,

des nuées calmes se disposent,

où tournent les cancers du camphre et de la corne ...

Fumées qu'un souffle nous dispute!

La terre tout attente en ses barbes d'insectes,

la terre enfante des merveilles! ...

Et à midi, quand l'arbre jujubier

fait éclater l'assise des tombeaux,

l'homme clôt ses paupières

et rafraîchit sa nuque dans les âges ...

Cavalerie du songe au lieu des poudres mortes,

ô routes vaines qu'échevèle

un souffle jusqu'à nous!

Où trouver,

où trouver les guerriers

qui garderont les fleuves dans leurs noces?


Au bruit des grandes eaux en marche sur la terre,

tout le sel de la terre tressaille dans les songes.

Et soudain, ah! soudain que nous veulent ces voix?

Levez un peuple de miroirs

sur l'ossuaire des fleuves,

qu'ils interjettent appel dans la suite des siècles!

Levez des pierres à ma gloire,

levez des pierres au silence,

et à la garde de ces lieux,

les cavaleries de bronze vert

sur de vastes chaussées! ...


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

06:38 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/11/2010

Actualité de la poésie

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

braquedeuxoiseaux.JPG

La poésie demeure le poumon de l'humanité et poursuit sa marche exigeante, discrète, individuelle à l'encontre d'une pensée unique, si présente dans les conversations ou les médias, voire dans la production littéraire de bon nombre d'éditeurs. Cela se vérifie tous les jours, et si vous naviguez parfois sur Facebook, vous serez étonnés par l'omniprésence de la poésie: sous toutes ses formes, obéissant à des desseins différents, surgie d'horizons multiples souvent inattendus, célébrant l'écrit sans frontières autour duquel les lecteurs attentifs se régénèrent, invités à prolonger l'émotion, la confronter à leur vécu, l'intégrer à leur culture. Un bel exemple pour louer au passage les moyens d'expression de ces nouvelles voies de la communication qui prennent le relais des supports traditionnels - plus restrictifs, figés ou absents - afin de favoriser la lecture et l'écriture partagées, signes palpables d'une ouverture au monde, reflets d'un besoin salutaire dans de nombreux domaines, dont la poésie - ou la musique, malheureusement - qui voit son espace réduit de jour en jour, dans les grandes chaînes commerciales... 

J'espère toutefois que les trois nouveautés choisies ci-dessous, échapperont à la règle des 44 jours de présence moyenne en librairie et que vous ne serez pas contraints de vous les procurer par Internet! Pour le premier titre proposé, le mérite en revient aux éditions Gallimard qui, sous la conduite de Eglal Errera, nous proposent une anthologie poétique, Les Poètes de la Méditerranée. Un travail extraordinaire, qui, sur 960 pages au format poche - mais avec une présentation et une typographie très soignées - nous présente les auteurs actuels de 24 pays, en édition bilingue. Si certains poètes sont disponibles dans d'autres éditions courantes - Adonis, Vénus Khoury-Ghata, Abdelattif Laâbi, Nuno Judice, Bernard Noël, Ismail Kadaré - la plupart nous sont inconnus, originaires de Grèce ou de Syrie, d'Egypte ou de Tunisie, du Montenegro ou de Slovénie. Dans la préface de ce livre, Yves Bonnefoy note: La Méditerranée est confiée à la poésie. On peut espérer que la poésie la gardera avec elle; en elle, à combattre, à espérer. Cette anthologie est à chaque page un enchantement, une découverte, une confirmation du rôle essentiel que représente la poésie, véritable contre-pouvoir à la culture de masse, par l'acuité de son regard et l'indépendance de son esprit.

Une autre nouveauté mérite d'être signalée: Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe, né de la plume de Deborah Heissler, seconde publication de cet auteur paru aux éditions Cheyne, vouées à la poésie contre vents et marées depuis trente ans! Un bel objet en parfaite adéquation avec son contenu. Une écriture fine et légère, plus chaleureuse que dans son précédent ouvrage - Près d'eux, la nuit sous la neige - pour dire la force du silence, les sensations mêlées à l'observation de la nature ou de la lumière qui déconstruisent notre vide intérieur et lui redonnent un centre de gravité, pour autant que nous prenions du temps de le lire sans hâte et d'en respirer les senteurs invisibles: J'entre dans la lumière advenant comme un miracle au sein de la durée irréelle de l'hiver. Atonalité des formes, de leurs contours tremblés, qui favorise un autre ordonnancement des lieux, la redécouverte de l'horizon avec au loin l'accord du solide et de l'ajouré. Un des plus beaux recueils poétiques de l'année, dont un autre extrait figurera sous peu dans Le poème de la semaine.

Enfin, j'achève ce tour d'horizon avec Poésies - 1997/2004, écrit par Claire Genoud, qui a publié auprès du même éditeur - Bernard Campiche - deux recueils de nouvelles, Poitrine d'écorce et plus récemment Ses pieds nus, déjà présenté dans ces colonnes. Une écriture viscérale, au plus près du corps, sur le fil continu d'une déchirure: celle du poème en miroir qui tourbillonne au-dessus du vide, tremble au bord du gouffre comme le signale Alexandre Voisard. Le lac peut bien lècher mes sandales comme un chat trop fidèle. Je n'ai qu'une envie, celle de plâtrer ses rives et de sangler sa peau battante au brouillard hivernal, car je ne veux plus des saisons qu'il s'obstine à dresser sur nos toits. D'un coup de plume, je ferai souffler la bise pour assécher son eau. Magnifique!

A cette grande méditerranéenne, Andrée Chedid, le mot de la fin: Il est vital pour le poète de lever des échos, et de le savoir. Nul mieux que lui ne s'accorde aux solitudes ; mais aussi, nul n'a plus besoin que sa terre soit visitée. 

Eglal Errera, Les poètes de la Méditerranée - Anthologie (coll. Poésie/Gallimard, 2010)

Deborah Heissler, Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe (Cheyne, 2010)

Claire Genoux, Poésies / 1997-2004 (coll. Campoche/Campiche, 2010)

Image: Georges Braque, Deux oiseaux sur fond bleu (1963)

30/08/2010

Poètes vos papiers

9782035856241.gifJean Orizet, Anthologie de la poésie française (Larousse, 2010)

Je vous invite à emboiter le pas de Jean Orizet, pour une formidable ballade poétique à travers les siècles. Poète lui-même, l'auteur déniche avec bonheur - parmi les auteurs cités - des textes souvent peu connus ou pas forcément parmi les plus célèbres. Un autre mérite est d'avoir consacré un chapitre aux auteurs provenant de la Suisse, de la Belgique, du Québec, du Maghreb, de l'Afrique Noire, des Antilles et du Proche Orient. Enfin, un riche répertoire biographique résume la personne et son oeuvre de manière succincte, mais personnelle. Cette anthologie complète à merveille les plus connues, d'André Gide à Georges Pompidou, de Philippe Jaccottet au Collectif des éditions de la Bibliothèque de la Pléiade. Bientôt une prescription scolaire? Il n'est pas interdit de rêver...   

06:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |