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06/09/2010

Sophie Fontanel

Bloc-Notes, 6 septembre / Les Saules

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La narratrice de ce récit a beaucoup de chance. auprès d'une mère comme la sienne - avec son sourire qui donne accès à la splendeur du monde - et elle le lui rend bien, à ce moment crucial de l'existence que nous redoutons tous, pour autant que nous aimions nos parents: La vieillesse, les accidents, la maladie, la dépendance réciproque, la proximité de la perte, le deuil.

A la première chute de sa maman, elle est désemparée. Le ciel lui tombe sur la tête: Une mère à terre, je pensais qu'il suffisait de la soulever (à deux, avec la gardienne de l'immeuble), de la remettre dans son lit pour que ça se tasse. Que le rétablissement se goupille de lui-même. Eh bien, j'ai appris. Dans son lit, avec deux fractures et des ligaments déchirés, ma mère se laissait mourir. Elle refusait que j'appelle une ambulance. Refusait le médecin. Refusait les soins. Refusait la nourriture. Refusait l'eau comme s'il se fût agi d'un breuvage où l'on aurait glissé des gouttes susceptibles de tuer sa résistance. Une porte blindée, ma mère. Refusait bien sûr de sourire, et quelle naïveté aussi j'avais de le lui demander dans une pareille détresse.

Pourtant, elle tient bon. Par amour pour sa mère de quatre-vingt six ans, indépendante, qui n'aime pas déranger, elle accepte de s'occuper d'elle au quotidien, subissant de plein fouet ses chutes répétitives, ses pertes de mémoire aussi. Elle connaît les couloirs des hôpitaux, les infirmières et les aides ménagères - dont elle parle avec une bienveillance naturelle - puis les maisons de repos, les soins. L'équilibre de sa propre vie s'en trouve mis à rude épreuve. Un jour, une de ses amies donne un sens à sa douleur et à son impuissance, en lui confiant: Ta maman est tombée encore une fois? Pauvre, pauvre, maman, je sais ce que tu ressens. Oh je sais que la vieille personne c'est toi-même. C'est à toi dans ces moments-là chaque minuscule vertèbre qui sort du dos de la personne âgée, des épines d'hippocampe, et ça lui fait si mal si on oublie de lui mettre les coussins. C'est à toi cette défaite, c'est ta pesanteur, et c'est toi aussi qui pèses ce poids de la vieille personne, et je sais que même la plus légère est insupportable, c'est à toi cette fin de vie...

Si le sujet du livre de Sophie Fontanel - probablement une autofiction - est grave, il est cependant parcouru par un formidable élan d'amour et de gratitude qui, la plupart du temps, transfigure jusqu'aux instants les plus pénibles. S'y ajoute une écriture pleine de fraîcheur qui vole de page en page comme une canne invisible auprès de cette mère qui ne veut pas disparaître: Sa meilleure amie sur terre. Elle saisit avec beaucoup de tendresse et d'humour les petits riens de ce quotidien à l'étroit qui font toute la différence: Sa gourmandise, ses coquetteries, ses espiègleries, ses rêves, ses désirs de croquer la vie à pleines dents, aujourd'hui, auprès de sa fille chérie.

Cette dernière grandira. Elle apprendra qu'être solidaire, c'est anticiper; que ce temps qui s'inverse, où la mémoire s'en va, paradoxalement s'accompagne d'une lucidité accrue; qu'une mère à de droit de céder au découragement; que l'amour partagé distille la force, le courage, le rire. Reste l'interrogation, à l'adresse de nous qui pour un temps encore foulons avec allégresse la terre sous nos pieds: Je pense qu'un jour moi aussi, je serai âgée, moi aussi je passerai un cap et je devrai m'en remettre à la bienveillance d'autrui. Lorsque ce jour viendra, qui dans ce monde pourra faire pour moi ce que je fais pour ma mère? Qui sera présent? Qui me soutiendra quand, à mon tour, je serai une personne vulnérable? Et est-ce que je me tuerai un jour, pour cause de ce manque d'amour très particulier qui est le manque d'aide?

L'amour vrai est éternel, selon Balzac, infini et toujours semblable à lui-même. Il est égal et pur, sans démonstrations violentes: On le voit avec les poils blancs et est toujours jeune au coeur.

Une première clef qui ouvre bien des tiroirs secrets...

Sophie Fontanel, Grandir (Laffont, 2010)

 

 

 

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/09/2010

Pascal Mercier

Bloc-Notes, 3 septembre / Les Saules

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Le dernier roman de Pascal Mercier, Léa, est l'un des points forts de cette rentrée littéraire, du côté des auteurs suisses. Paru en langue originale allemande en 2007, il nous expose l'histoire de deux hommes, Martjn van Vliet et Adrian Herzog, qui font connaissance dans un café en Provence. Découvrant qu'ils sont tous deux originaires de Berne, ils sympathisent, et lors de leur voyage de retour en Suisse, Van Vliet confie à son ami de passage l'éblouissement et le drame de sa vie: Léa, sa fille. Depuis le décès de sa mère Cécile, elle est renfermée, figée, comme retirée du monde, jusqu'au jour où, à l'âge de huit ans, en pleine gare de Berne, elle entend un violoniste des rues jouer une partita de Bach. Elle sent instantanément que son salut - ou sa libération - passe par l'exercice de cet instrument. Elle s'avère très vite exceptionnelle, enchaînant les succès. Mais est-elle guérie pour autant?

 

 


Méditation sur l'art, source d'épanouissement mais aussi d'éloignement des autres, Léa ravira sans doute tous les mélomanes. Un des aspects les plus poignants est la mélancolie de Van Vliet qui réalise, impuissant, que sa fille - de plus en plus immergée dans son monde - s'éloigne à tout jamais, à proportion des efforts qu'il opère pour se rapprocher d'elle.

Adulée par les connaisseurs et ses proches, Léa pourtant, sent que son propre destin lui échappe, réveille son agressivité, son trouble, sa peur du naufrage. Un des passages les plus poignants, dans la dernière partie du livre, dépeint admirablement cette sensibilité exacerbée, sur tous les registres: Léa jouait, comme quelque temps auparavant chez nous dans la cage d'escalier, la musique que nous avions entendue autrefois dans la gare de Berne. Elle jouait comme jamais je ne l'avais entendue: furieusement, avec des coups d'archet si violents qu'ils raclaient les cordes, les crins blancs se cassaient l'un après l'autre et ils lui fouettaient le visage, c'était un spectacle de défi, de désespoir et d'abandon, des paupières closes s'échappaient des coulées de mascara, à présent, on voyait aussi les larmes, Léa luttait contre elles, un dernier combat, c'était encore une violoniste qui se défendait, de ses doigts fermes, contre l'assaut intérieur, elle pressait ses paupières contre les prunelles de ses yeux, pressait et pressait, l'archet glissa, les sons dérapèrent, une femme à côté de moi aspira l'air, épouvantée, et alors Léa, les yeux pleins de larmes, abaissa son violon.

On peut regretter, avec un sujet aussi original ouvrant sur tant d'aspects liés à l'expression artistique, que Pascal Mercier ne se soit pas davantage concentré sur l'intériorité de Léa - ses rapports avec la musique, sa perception des autres, sa quête obsédante de perfection - plutôt qu'au seul amour inachevé entre un père et sa fille. Enfin, la construction narrative choisie, par les confidences faites plutôt que suggérées par Van Vliet, coupe court à toute progression dramatique. Le lecteur sait à chaque tournant de page, ce qu'il va advenir. Aucune surprise donc, et sur le plan romanesque c'est vraiment dommage...  

Ces réserves faites, l'auteur de Train de nuit pour Lisbonne et L'accordeur de pianos, par ses études de caractère - jusque dans les personnages secondaires de Marie ou Lévy - et un thème captivant, se laisse lire avec beaucoup de plaisir. Il lui manque peu de choses, somme toute, pour figurer parmi les meilleurs... 

Pascal Mercier, Léa (Libella/Maren Sell, 2010)


07:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; romans; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/09/2010

Le poème de la semaine

Paul Eluard


Notre vie tu l'as faite elle est ensevelie

Aurore d'une ville un beau matin de mai

Sur laquelle la terre a refermé son poing

Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires

Et la mort entre en moi comme dans un moulin


Notre vie disais-tu si contente de vivre

Et de donner la vie à ce que nous aimions

Mais la mort a rompu l'équilibre du temps

La mort qui vient la mort qui va la mort vécue

La mort visible boit et mange à mes dépens


Morte visible Nusch invisible et plus dure

Que la soif et la faim à mon corps épuisé

Masque de neige sur la terre et sous la terre

Source des larmes dans la nuit masque d'aveugle

Mon passé se dissout je fais place au silence


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01:52 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |