Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/10/2013

Chloe Hooper

Bloc-Notes, 21 octobre / Les Saules

Chloe Hooper.jpg

Fiançailles, le troisième livre de Chloe Hooper traduit en langue française, se décline en trois journées, autour desquelles Liese Campbell, employée dans une agence immobilière en Australie, venue d'Angleterre, accepte l'invitation d'Alexander Colquhoun, un client de l'agence: passer un week-end prolongé avec lui, rémunéré par ce dernier et lui permettant de réduire ses dettes, avant de s'en retourner au pays. Une relation trouble qui, nous apprend Liese, a été ébauchée par des jeux érotiques avec ce même Alexandre - rémunérés eux aussi - au gré d'appartements visités avec lui, dans le cadre de son travail. 

Présenté ainsi en quelques lignes, les mauvaises langues diront que c'est le scénario idéal d'un roman érotique à la mode de Erika Leonard James qui, dans ce registre, connaît un immense succès en librairie. Or, il n'en est rien, et les amateurs du genre auront déboursé 23 euros en pure perte. Au contraire, la comparaison avec les meilleurs romans de Patricia Highsmith - dont Ce mal étrange, proche de Fiançailles par son atmosphère - est beaucoup plus pertinente.

Un jeu de rôle seulement, entre Liese qui s'invente un passé sulfureux, et Alexandre qui lui offre une bague de fiançailles, au cours de ces trois jours? Pas sûr, car au-delà d'une attirance sexuelle réciproque, Chloe Hooper nous tend le miroir trompeur de l'imaginaire capable d'inspirer les mécanismes souterrains du désir: un pouvoir qui transcende le réel mais peut de même s'abîmer dans le malaise ou l'effroi, quand la mythologie devient plus plausible que la réalité et que le jeu se substitue à la vraie vie

Est-ce que tout le monde a une pièce privée dans sa tête? On y entre et on ferme la porte derrière soi. Il peut se passer n'importe quoi, personne ne vous voit. Vous pouvez faire ce que vous voulez, et même le refaire; vous pouvez passer la scène au ralenti ou en accéléré jusqu'à ce que chaque seconde se mette à rayonner, comme électrifiée...

Au fil de ce récit où Liese semble perdre ses repères, entre une vérité trompeuse et une fantaisie plus vraie que nature, une correspondance anonyme adressée à Alexandre, apprend à ce dernier les épisodes les plus embarrassants de son passé de... prostituée. Qui donc la connaît à ce point et veut lui nuire? A moins qu'Alexandre en soit inexplicablement l'auteur, ravi que, fou d'amour pour elle, il puisse endosser l'habit du rédempteur magnanime qui l'arrache à sa vie de débauche? J'étais dans la pièce qui se trouvait à l'intérieur de sa tête et lui il avait fermé la porte à clé.

Construit tel un roman policier, le suspense est entretenu jusqu'à la dernière partie de Fiançailles où, lors d'un repas devant sceller leur union, apparaît Annabel, la soeur d'Alexandre, la réminiscence de la mère aimée - morte, peut-être? - et l'étrange révérend Graeme Smythe. Au cours de cette fête, le conte un peu pervers échafaudé par Liese et Alexandre volera en éclats. Fini de jouer! pourrait-on dire, mais pour lequel de ces deux protagonistes? Vous le découvrirez en lisant cette histoire insolite qui baigne dans une ambiance où s'insinue progressivement un sentiment aigu de claustrophobie: Chaque fois que je me retournais, j'avais l'impression que quelque chose se déplaçait à la périphérie de mon champ de vision. C'était un mélange entre la poussière et l'idée de me savoir prise au piège de cet endroit, là où la maison était la plus froide et la plus humide. Je ne pouvais le supporter et je m'agitais comme un oiseau qui vient se cogner aux vitres alors qu'il essaie de sortir.

Le titre original en langue anglaise - The Engagement - joue mieux que le titre français sur l'ambiguïté de la relation entre Liese et Alexandre: S'engager y signifie se fiancer bien sûr, mais aussi exécuter un travail, combattre quelque chose ou quelqu'un, louer les services d'une personne, concrétiser une promesse, Fiançailles étant tout cela, à la fois, même si, en filigrane, il met crûment en évidence le manque d'amour, au nom duquel la raison n'a pas nécessairement le dernier mot.

De Chloe Hooper, australienne née en 1973, ont déjà paru auprès du même éditeur, Un vrai crime pour livre d'enfant (un roman, en 2002) et Grand homme (un essai, en 2009).

Chloe Hooper, Fiançailles (Bourgois, 2013)

traduit de l'anglais (Australie) par Florence Cabaret

Patricia Highsmith, Ce mal étrange (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

Erika Leonard James, Cinquante nuances de Grey (Lattès, 2012)

18:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les commentaires sont fermés.