21/10/2011
Du bon usage des maladies 1a
Bloc-Notes, 21 octobre / Les Saules
Ca vous tombe dessus, comme ça: D'abord le nez qui coule, puis la toux qui vous secoue comme un prunelier, enfin la fièvre et les douleurs thoraciques. Vous êtes cloué au lit: cela s'appelle une grippe, saisonnière ou non. Quand, de surcroît elle surgit pendant les vacances - c'est mon cas - on pourrait se dire que c'est la faute à pas de chance, que le billet tiré à la loterie n'est décidément pas le bon. Vraiment?
Réfléchissez un peu: alité, vous voilà emmitouflé sous votre couette, bien au chaud, sans horaire et surtout sans devoir, si ce n'est celui de vous soigner. D'un oeil amusé, acteur passif sur toute la ligne, vous suivez distraitement sur votre chaîne TV préférée Inspecteur Barnaby, Scènes de ménage ou Monk. Le téléphone peut carillonner, vous ne vous sentez pas obligé de répondre. Deux fois sur trois, d'ailleurs, l'appel correspond à un sondage sur les caisses-maladie, un opérateur internet ou une erreur de numéro. Et si, par hasard, il s'agit de l'un de vos proches, vous lui expliquerez un peu plus tard que vous n'étiez pas en état de lui répondre ou de le retrouver au café du coin. On est toujours meilleur comédien qu'on ne l'imagine. La plupart de vos amis admettrons sans peine votre attitude singulière, avec cette gravité dans le geste ou la voix qui accompagne les grands malades. Vous ficher la paix sera pour eux un signe de compassion, alors que vous - avouez-le - aurez obtenu ce que vous vouliez: le vide autour de vous, la déconnection salvatrice, la grève générale.
Au droit d'être malade s'ajoute, comme par enchantement, celui d'envoyer tout balader sous prétexte d'une erreur d'aiguillage sans gravité: au diable la conversation, les tâches domestiques, le courrier, les raseurs, les projets, même les livres... Là où dans toute autre situation dite normale il vous faudrait ménager les autres, justifier et leur expliquer patiemment votre soudain ras-le-bol - auquel ils trouveraient sans doute de multiples raisons toutes plus éloignées de la vérité les unes que les autres - en cet instant précis, la maladie fait figure de parfait alibi pour prendre un bol d'air frais, en toute liberté et sans aucun remord.
Dans un silence propice au repos qu'une solitude choisie amplifie délicieusement, seule la musique peut-être, y trouvera un espace bienvenu, et tandis que vous verrez défiler sous vos yeux les malades célèbres, de Frédéric Chopin à Rainer-Maria Rilke, de Marcel Proust à Franz Kafka, de Thérèse de Lisieux à Thomas Bernhard, à la faveur d'une fièvre en berne tout à coup, votre coeur après quelques jours s'ouvrira à nouveau aux rythmes du monde, à la douce folie de ces êtres chers - dont certains n'ont vraiment pas de chance - auxquels vous brûlez déjà de murmurer à l'oreille ces mots magiques et inoxydables: Je vous aime...
Requinqué par une semaine de paresse aussi égoïste que salutaire - un peu comme Philippe Noiret dans le film Alexandre le bienheureux de Yves Robert - vos accus rechargés, vous retrouverez alors, comme un habit rajeuni retiré du pressing, votre détermination, votre audace, votre tendresse et ce sens de l'ironie ou de la résistance qui fait de votre vie un tout petit univers, mais lourd de sens: Quand je ferme les yeux, c'est pour mieux ouvrir les cieux. (Grand Corps Malade)
Reconnaissons toutefois que sans le diagnostic de la maladie - nous procurant la plus belle des lettres d'excuses - cette pause bénéfique est difficile à s'octroyer en toute impunité: la relation aux autres est parfois bien compliquée, à moins que ce soient nous autres, qui manquons de simplicité!
image: Charles Schulz - Peanuts/Linus
01:03 Écrit par Claude Amstutz dans Alain, Bloc-Notes, Frédéric Chopin, Le monde comme il va, Marcel Proust, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
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