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22/02/2011

Andrés Barba

Bloc-Notes, 22 février / Les Saules

littérature; roman; livres

Andrés Barba n'est pas le dernier venu sous nos latitudes francophones, puisque trois de ses livres - deux romans et un recueil de nouvelles -, La soeur de Katia (2001), Et maintenant dansez (2004), La Ferme Intention (2002) ont déjà été publiés aux éditions Christian Bourgois. Pourtant, ce jeune prodige des lettres, né en 1975 à Madrid - certainement l'un des écrivains les plus personnels de sa génération - demeure injustement méconnu.

Certains refrains traversent toute son oeuvre, dont l'incommunicabilité entre les êtres, qui détruit dans sa réalité cruelle les uns et déconstruit le château de cartes imaginaire des autres; la force souterraine des émotions entre vide et plein inspirant davantage de crainte que de libération; la maladie enfin, image incontournable de la déchéance physique et préfiguration de la forme humiliante de la mort rejoignant les deux thèmes précédents à laquelle répond en écho une vision plutôt féroce de la religion catholique. Sur le plan romanesque, un personnage central catalyse tout le désir et l'imaginaire des autres, et dans son dernier roman, Versions de Teresa, c'est particulièrement le cas. 

De quoi s'agit-il? Du besoin d'amour, de la fascination du désir et de la mise à nu des sentiments. Parlant très peu, enfermée en quelque sorte dans un monde inaccessible à ses proches - sa mère et sa soeur Veronica - Teresa, une adolescente de 14 ans, est de surcroît une handicapée physique. Dans un camp de vacances, elle fait la connaissance de Manuel, un moniteur trentenaire mal dans sa peau qui semble touché par la grâce de cette jeune fille. Quant à Veronica, qui éprouve pour sa petite soeur une tendresse bien réelle - mais concurrente face à sa mère et Manuel - ne ressent-elle pas le besoin de prendre sa revanche, dans cette relation à trois personnages - incapables de s'aimer eux-mêmes - qui dévie vers une transgression obscure et inacceptable? Pour qui?

Ce récit aux relations complexes n'est en aucun cas un roman sur la pédophilie. Presque lyrique et néanmoins concise, épurée de tout artifice, la langue d'Andrés Barba évite toute complaisance et traduit admirablement la peur de l'interdit, les frontières qui s'amenuisent entre la normalité et la différence, l'insatisfaction intime comme réponse à une obsession assouvie dans ce dernier cercle de la douleur et de la culpabilité de Manuel: Je l'ai utilisée - Teresa - comme une caisse de résonance, où mes propres sentiments étaient amplifiés par les siens. Elle n'était que le vide où résonnaient ces sentiments. Et ça, j'en ai honte.  

A cette image se superpose en miroir le jugement impitoyable de Veronica: C'est drôle, nu tu es beaucoup plus moche qu'habillé. (...) La chaleur te fait paraître plus vieux, ou plus fatigué, je ne sais pas. Tes pommettes deviennent toutes rouges. On dirait un enfant vieux. Tes bras sont très longs et tu as les jambes trop poilues. Tu es maigre et petit. Habillé, tu as l'air beaucoup plus fort, plus solide, mais nu et fatigué, il n'y a plus aucune vigueur en toi.  

L'amour, un cérémonial de l'exhibition, un concert de mensonges - à soi-même -, ou une leçon de choses apprise pour appréhender le réel? N'inventons-nous pas ceux que nous aimons, quand à nos pulsions ne répond que le silence intérieur - ou le vide - de l'autre? Qui donc est le plus faible et le plus vulnérable, quand le désir s'en mêle: le prédateur ou la victime? 

De ces interrogations - et de bien d'autres - ce livre tire sa force convulsive, ténébreuse, désenchantée, tel cet oiseau à l'aile casséetout près de la fin du roman - dont le vol n'est plus qu'une agonie circulaire... 

Andrés Barba, Versions de Teresa (Bourgois, 2011)

publié dans Le Passe Muraille no 85 - mars 2011

Commentaires

Merci, cher compère, pour ces excellentes nouvelles pistes de lecture. Je reviens de chez Guido Ceronetti et te transmets cet aphorisme qu'il m'a gentiment dédié: "Nulla, nessuna forza può rompere une fragilità infinita"... Te citerai dans 24Heures sur Barba... Ciao.

Écrit par : JLK | 22/02/2011

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