19/02/2015
Morceaux choisis - Annie Dillard
Annie Dillard
La page, la page, cette blancheur éternelle, la blancheur de l’éternité que tu couvres lentement, affirmant le griffonnage du temps comme un droit, et ton audace comme une nécessité; la page, que tu couvres opiniâtrement, que tu détruis, mais en affirmant ta liberté et ton pouvoir d’agir, comprenant que tu détruis tout ce que tu touches, mais le touchant néanmoins, parce que agir vaut mieux qu’être là dans l’opacité pure et simple; la page, que tu couvres lentement de l’entrelacs tortueux de tes viscères; la page dans la pureté de ses possibilités; la page de ta mort, à laquelle tu opposes toutes les excellences défectueuses que peut réunir ta force vitale: cette page t’apprendra à écrire.
Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend? Parce que c’est à toi de jouer. Voici une chose que tu trouves intéressante, pour une raison difficile à expliquer. C’est difficile à expliquer parce que tu ne l’as jamais lu sur aucune page; voilà par où commencer. Tu as été créé en ce monde pour donner voix à cela, à ton propre étonnement.
Ecris comme si tu étais en train de mourir. En même temps, dis-toi que tu écris pour un public uniquement composé de malades au stade terminal. Après tout, c’est le cas. Que commencerais-tu à écrire si tu savais que tu allais mourir bientôt? Que pourrais-tu dire à un mourant pour ne pas le faire enrager par ta trivialité?
La sensation d’écrire un livre est la sensation de toupiller, aveuglé d’amour et d’audace. C’est la sensation de se dresser sur la pointe inclinée d’un brin d’herbe et de regarder alentour, en cherchant où aller.
Annie Dillard, En vivant en écrivant (coll. Titres/Bourgois, 2008)
traduit de l'américain par Brice Matthieussent
image: lefigaro.fr
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
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