07/01/2011
Rentrée littéraire
Bloc-Notes, 7 janvier / Les Saules
Depuis mardi dernier, la rentrée littéraire marque son passage à l'an nouveau avec un livre très attendu, Des gens très bien d'Alexandre Jardin (Grasset) qui, contrairement au Roman des Jardin, revient avec une émotion douloureuse sur le passé de son grand-père aux commandes administratives d'une certaine rafle du Vel d'Hiv - de triste mémoire - et de son père pour un récit qui, dit-il, aurait pu s'intituler: Fini de rire... Controversé, haï ou adulé par des critiques qui ne l'ont probablement lu qu'en diagonale, il mérite, contrairement à d'autres de ses textes, une lecture plus attentive et réfléchie...
Chez les auteurs francophones, il est agréable d'évoquer aussi, brièvement - dans un premier temps! - Trésor d'amour de Philippe Sollers (Gallimard), un auteur qui vieillit plutôt bien. Une lecture jubilatoire qui nous emmène une fois encore à Venise, pour une histoire où se mêlent la célébration de la vie, de l'amour, de la beauté et de la musique, avec un personnage central qui n'est autre que Stendhal. Un autre univers - pas moins intéressant - nous est proposé avec La nonne et le brigand de Frédérique Deghelt (Actes Sud), où Lysange vivant une passion amoureuse avec Pierre découvre le manuscrit du journal écrit dans les années 50 par sa soeur Madeleine qui relate ses déchirements entre foi et amour, dont le contenu va modifier son regard sur sa propre vie. Quant à Aline Kiner - nouvelle venue dans le monde des lettres - elle nous offre, avec Le jeu du pendu (Liana Levi) l'un des meilleurs romans policiers français de ces dernières années, avec une intrigue solide qui se déroule en Lorraine dans un village où resurgissent les blessures secrètes de la guerre, la fermeture des mines de fer, les haines inavouables que déchiffrent tant bien que mal un couple d'enquêteurs fort sympathiques. Avec plaisir, nous retrouvons aussi Jean-Louis Kuffer qui, avec L'enfant prodigue (D'Autre Part) au rythme des saisons et des temps de la vie, de l'obscurité et de la lumière, nous livre des points de convergences et de rencontres où dansent les mots avec douceur et gratitude comme sur la toile d'un peintre, à jamais inachevée. Enfin, Les insurrections singulières de Jeanne Benameur (Actes Sud) scrute le monde ouvrier, le drame des délocalisations et du chômage à travers le destin d'Antoine, à lui seul la voix intime de ceux qu'on ne veut entendre...
Parmi les auteurs étrangers, est attendu Dernière nuit à Twisted River de John Irving (Seuil). Il y renoue avec ses thèmes de prédilection, les contrées sauvages - ici les bûcherons, les flotteurs de bois, les ours une fois encore - où se joue le destin d'un père et de son fils. Il en va de même pour La vie très privée de Mr. Sim de Jonathan Coe (Gallimard), l’histoire d’un quarantenaire raté qui est amené à percer les secrets de son propre passé. Mais la palme revient sans doute à Versions de Teresa de Andrès Barba (Bourgois) qui scrute les mécanismes du désir, de la passion et de la culpabilité dans ce roman choral abordant l'amour fou de Manuel pour Teresa, une jeune handicapée rencontrée dans un centre de vacances dont il est le moniteur. Le désir aussi de Véronica, sœur aînée de Teresa pour Manuel. Des voix - celles de Manuel et Veronica - qui se réverbèrent comme un écho, face au mondu du silence: Teresa. Une écriture lyrique, mais sobre échappant au dérapage ou au voyeurisme. Enfin, les fidèles de Donna Leon pourront retrouver le célèbre et sympathique commissaire Brunetti dans La petite fille de ses rêves (Calmann-Lévy), aux prises avec une secte, des secrets de famille et une fillette assassinée qui hante ses nuits...
Pour terminer, un document exceptionnel et un immense succès - mérité - à sa sortie en Italie: Dans la mer il y a des crocodiles - l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari de Fabio Geda (Liana Levi), le récit d'un gamin de 10 ans qui fuyant son pays d'origine, l'Afghanistan, est abandonné par sa mère à la frontière pakistanaise. S'en suit un périple de cinq ans à travers l'Iran, la Turquie et la Grèce avant qu'il atteigne l'Italie. Dans cette réalité dure et cruelle, tout n'est pas noir et de nombreux personnages sont attachants, généreux, dépeints souvent avec humour. A ne manquer sous aucun prétexte, mais ce titre sera plus longuement évoqué dans les semaines qui suivent, ce qui vaut de même pour la plupart des textes cités dans cet article!
01:04 Écrit par Claude Amstutz dans Andrés Barba, Bloc-Notes, H.B. dit Stendhal, Jean-Louis Kuffer, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature italienne, Littérature policière, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |