Le poème de la semaine (26/02/2014)

Emile Nelligan

Hier, j’ai vu passer, comme une ombre qu’on plaint, 
En un grand parc obscur, une femme voilée: 
Funèbre et singulière, elle s’en est allée, 
Recélant sa fierté sous son masque opalin. 
  
Et rien que d’un regard, par ce soir cristallin, 
J’eus deviné bientôt sa douleur refoulée; 
Puis elle disparut en quelque noire allée 
Propice au deuil profond dont son cœur était plein. 
  
Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante: 
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente 
Où la vie à la tombe âprement nous conduit. 
  
Tous la verront passer, feuille sèche à la brise 
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit; 
Mais nul ne l’aimera, nul ne l’aura comprise. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:11 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |