Kim Thuy (17/10/2013)

Bloc-Notes, 17 octobre / Les Saules

4.jpg

Si vous avez aimé le premier livre de Kim Thuy, Ru - paru chez le même éditeur en 2010, et présenté dans ces colonnes - vous tomberez à nouveau sous le charme de son nouveau livre, Man, écrit à la première personne. Parcours d'une femme qui a choisi de toujours rester debout, et qui, évoquant le visage de sa mère restée au Vietnam, nous parle de sa terre en guerre et de sa nouvelle patrie, le Canada - conquise à la faveur d'un mariage arrangé - à travers des retours en arrière, des anecdotes, des différences de coutumes, de langages ou de comportements entre les deux pays, montrés tels des estampes délicates au lecteur attentif: récit d'un déracinement et d'une quête identitaire où la joie se mêle à la tristesse sans jamais sombrer dans la sociologie populaire ou les clichés: Peut-être parce que nous acceptons les choses telles qu'elles sont, telles qu'elles nous arrivent, sans jamais questionner le pourquoi ni le comment.

Tenant un restaurant, la cuisine est l'un des ressorts importants dont elle dispose pour cerner l'espace de sa mémoire qui la relie à sa terre des origines: L'un des clients était originaire de Rach Gia, une ville côtière où l'on a inventé une soupe-repas au poisson poché avec des vermicelles, rehaussée de porc et de crevettes caramélisées dans les oeufs de crevettes. Des larmes ont coulé sur sa joue lorsque j'ai arrosé son bol d'une petite cueillerée d'ail mariné au vinaigre. En mangeant cette soupe, il m'a susurré qu'il avait goûté sa terre, la terre où il avait grandi, où il était aimé.

Préparée au bonheur - assimilé à la protection, au bien-être, à la sécurité - davantage qu'à l'amour, la première partie du récit de Man peut se résumer ainsi: Je m'appelle Man, ce qui veut dire "parfaitement comblée" ou "qu'il ne reste plus rien à désirer", ou "que tous les voeux ont été exaucés". Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m'impose cet état de satisfaction et d'assouvissement. Contrairement à la Jeanne de Maupassant, qui rêvait de saisir tous les bonheurs de la vie à sa sortie du couvent, j'ai grandi sans rêver.

Mais Man est aussi l'histoire d'un apprentissage, d'une libération intérieure et d'un accomplissement dont je vous laisse le soin de découvrir les contours. Nous baladant de Saïgon à Montréal en passant par Paris, l'écriture de Kim Thuy est sensuelle, poétique et tendre, même si son propos demeure grave, douloureux sous une apparente frivolité.

Kim Thuy est née en 1968 à Saigon, la capitale du Sud du Vietnam qui est devenue Hô Chi Minh Ville. Elle a quitté le pays avec d’autres boat people à l’âge de 10 ans, pour se retrouver dans un sordide campement de réfugiés en Malaisie. C'est le Québec qui a fini par l'accueillir. Elle y vit depuis trente ans, mère de deux enfants maintenant, et est retournée plusieurs fois au Vietnam. Son parcours est quelque peu atypique. En effet, elle a été couturière, interprète, avocate, restauratrice, chroniqueuse culinaire avant de devenir écrivain en langue française...

Sur La scie rêveuse - dans Morceaux choisis - vous pouvez découvrir un extrait de son dernier livre.

Kim Thuy, Man (Liana Levi, 2013)

Kim Thuy, Ru (coll. Piccolo/Liana Levi,  2011)

07:33 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |