Lire les classiques - Alfred de Musset (02/06/2013)
Alfred de Musset
Oui, si j'étais femme, aimable et jolie, Je voudrais, Julie, Faire comme vous;Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère, A toute la terre Faire les yeux doux. Je voudrais n'avoir de soucis au monde Que ma taille ronde, Mes chiffons chéris,Et de pied en cap être la poupée La mieux équipée De Rome à Paris. Je voudrais garder pour toute science Cette insouciance Qui vous va si bien;Joindre, comme vous, à l'étourderie Cette rêverie Qui ne pense à rien. Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête, Et tourner la tête, Aux plus orgueilleux;Être en même temps de glace et de flamme, La haine dans l'âme, L'amour dans les yeux. Je détesterais, avant toute chose,Ces vieux teints de rose Qui font peur à voir.Je rayonnerais, sous ma tresse brune, Comme un clair de lune En capuchon noir. Car c'est si charmant et c'est si commode, Ce masque à la mode, Cet air de langueur!Ah ! que la pâleur est d'un bel usage! Jamais le visage N'est trop loin du coeur. Je voudrais encore avoir vos caprices, Vos soupirs novices, Vos regards savants.Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime, Être en tout vous-même... Pour deux ou trois ans. Il est un seul point, je vous le confesse, Où votre sagesse Me semble en défaut.Vous n'osez pas être assez inhumaine. Votre orgueil vous gêne; Pourtant il en faut. Je ne voudrais pas, à la contredanse, Sans quelque prudence Livrer mon bras nu;Puis, au cotillon, laisser ma main blanche Traîner sur la manche Du premier venu. Si mon fin corset, si souple et si juste,D'un bras trop robusteSe sentait serré, J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle Qu'un bout de dentelle N'en fût déchiré. Chacun, en valsant, vient sur votre épaule Réciter son rôle D'amoureux transi;Ma beauté, du moins, sinon ma pensée, Serait offensée D'être aimée ainsi. Je ne voudrais pas, si j'étais Julie, N'être que jolie Avec ma beauté.Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse. Comme ma richesse, J'aurais ma fierté. Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes, La plupart des hommes Sont très inconstants.Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême, La moitié vous aime Pour passer le temps. Quand on est coquette, il faut être sage. L'oiseau de passage Qui vole à plein coeurNe dort pas en l'air comme une hirondelle, Et peut, d'un coup d'aile, Briser une fleur.Alfred de Musset, Conseils à une parisienne, dans: Poésies nouvelles (coll. GF/Flammarion, 2000)
image: daisy13.unblog.fr
07:51 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |