Douna Loup 1a (26/09/2012)

Bloc-Notes, 17-26 septembre / Curio

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Tu as quatre-vingt-cinq ans et tu trouves encore l'énergie d'exister si fort que ton appartement est entièrement empli de tes quelques quatre mille tableaux et innombrables sculptures. Il y en a partout, dans la cuisine, le salon, la chambre, et tes oeuvres, même serrées, emballées de plastique, restent criantes.

Ainsi commence l'étonnant récit de Douna Loup, celui d'une vieille dame un peu fantasque, qui a traversé le siècle de Bagnolet à Genève, en passant par Porrentruy et Pully, capte l'attention d'une jeune fille et se confie à elle: Je veux que tu écrives ma vie. Que tu la poses. La déroules, la dérides, la fasse divaguer dans les lignes. Je veux que tu écrives pour moi ces kilos de souvenirs calés dans mes veines. Que tu éclates ces veines lourdes d'années.

De cette musique intime à deux voix, Les lignes de ta paume, se dessine sous nos yeux le portrait d'une femme nomade aux sourdes colères, solitaire, indépendante: Nelly Machat la voyageuse immobile, devenue Linda Breuse la dame aux chocolats. Et pourquoi donc? L'un des secrets de sa vie, abrités par son art qui lui permet de façonner désormais son propre monde: Quand je peins, je suis un voilier à l'abri du vent. Ca ne dure pas. Mais avec mes pinceaux j'accoste. Je m'apaise. (...) Et puis, lorsque autour de moi le vent reprend son souffle de plus belle, j'ai des bateaux de papiers colorés, des visages ahuris, des mains de terre et des bouches vociférantes pour m'accompagner dans la houle.  

De cet effort de mémoire, quand les pinceaux se sont tus et qu'elle livre à son interlocutrice les fragments de sa vie, Nelly dévoile le visage de sa mère suicidaire, les leçons de solfège auprès d'un instituteur qui lui fait perdre l'adresse du beau temps, ses talents de coiffeuse, la rencontre de son mari dans un bal, et la rupture sur le tard - avec tous: époux et enfants - qui lui permet d'éviter l'asphyxie et de s'épanouir dans l'espace de la peinture et de la sculpture. Libre enfin, transfigurée: Je déguise mes peines en rires, maquille mes blessures à la bombe, je tague ma vie comme une jeune blonde.

L'écriture de Douna Loup est aussi personnelle que dans son premier roman, L'embrasure, et se hisse même, peut-être, à un niveau plus élaboré sur le plan poétique ici, par un éclairage qui n'est pas sans rappeler celui de Jean-Michel Maulpoix, un autre orfèvre de la langue: J'aime les fleurs. Celles qui sont belles de n'avoir rien à prouver. Ou encore: Le corps de l'été te subjugue. Tu es amoureuse de ses mains d'herbe. (...) Tu aimes le ciel qui te surprend, celui qui tombe comme un duvet d'enfant qu'un rêve trop violent a percé. 

Ce récit est une fantaisie romanesque appuyée sur un personnage bien réel, Linda Naeff, que vous pouvez découvrir par le lien ci-dessous. Des éclats de vie entre Douna Loup et cette artiste a surgi ce fil tendu, né doucement d'abord, comme un flot souterrain, puis qui a trouvé tout à coup son point de jaillissement

Même si quelques snobs ou esprits chagrins se croient obligés de remarquer chez cette jeune romancière quelques fragilités de débutante, je n'ai pour ma part décelé ni préciosité, ni artifice. Sa narration est captivante, avec un sens du récit aussi envoûtant que L'embrasure. Un très beau livre tout simplement...

Les lignes de ta paume est à ce jour, sans conteste, mon livre préféré de cette rentrée littéraire! 

Douna Loup, Les lignes de ta paume (Mercure de France, 2012)

Douna Loup, L'embrasure (Mercure de France, 2010)

Linda Naeff: http://lindanaeff.populus.org/rub/2

00:10 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |