Morceaux choisis - Katherine Pancol (17/04/2012)
Katherine Pancol
Kay BartholdiLes Palmiers sauvagesFécamp
Le 5 mai 1998.
J'ai le coeur brisé, Jonathan... Et je ne suis pas sûre que les morceaux se soient recollés. Parce que j'ai eu si mal, si mal que j'ai cru en mourir... Parce qu'un autre que moi, mon semblable, mon même sang, mon même souffle, ma même peau, mes mêmes cheveux, mes mêmes dents, mon même sourire, en est mort tout debout, lui. Parce que, je vous l'ai dit, je veux aimer la vie, malgré tout.
Le soleil de printemps qui rebondit à mes pieds et me force à me lever... Les bains du petit matin quand la ville s'ébroue à peine. Les galets polis sur la plage que mes plantes de pied ont apprivoisés. Le bruit des vagues qui font chanter les galets quand elles se retirent. Ma peau toute salée que je lèche à grands coups de langue. Les fromages de Madame Marie. Les gâteaux de Monsieur Lainé. Les moules-frites de Laurent et Josepha. La présence tendre et bourrue de Nathalie. Les pinceaux blancs du phare, la nuit, ma seule compagnie.
Je chasse toutes les autres. Je les chasse tous. Je les désire, je les convoque, je me jette à leur cou, je leur fais des noeuds partout et... je les tranche. D'un seul coup. Sans avertissement. Ils durent ce que durent le désir physique, l'envie de frotter ma peau contre une autre, de se faire étreindre, entourer, fouiller, retourner... Comme le tracteur dans la terre... Ou plus doucement... Comme les lunettes cerclées embuées de tendresse.
Je hais la douceur, la tendresse, la passion quand elles ne viennent pas de lui... De cet homme qui s'est éloigné, un beau matin, en bateau sur le port. Que j'ai regardé partir en serrant la main d'un autre dans ma main. Un autre qui aimait aussi cet homme plus que tout. Cet homme qui nous abandonnait. Pour qui? Pour quoi? Pourquoi, Jonathan? Pourquoi est-il parti? Je n'ai jamais compris.
Alors je préfère rester seule. Dans ma chambrette, face à la mer. Avec mes livres, les mouettes qui me raillent, le vent et la tempête. Ces compagnons-là me vont bien. Ils ne me demandent rien. Je ne leur donne rien. Un amour commence à exister quand chacun offre à l'autre le fond de ses pensées, les secrets les plus verrouillés. Sinon, ce n'est pas de l'amour, c'est de l'échange de peaux, de désir immédiat, et l'on se retrouve, détroussé, comme après le passage d'un cambrioleur.
Gardez votre secret. Je garderai le mien. Souvenez-vous de la vieille femme et du curé, dans Maison des autres.* Les secrets ne sont pas faits pour être échangés avec des inconnus. Elle en est morte.
Qu'est-ce que je sais de vous? Et vous voulez me raconter votre vie! Sans façon, Jonathan! Restons-en au rayon des livres, prudemment. Il y en a plein d'autres magnifiques qui ne nous déchireront pas les entrailles, qui nous berceront d'illusions, ou nous infuseront dans des douleurs plus tièdes, plus lointaines.
Pein d'autres qui nous feront voler très haut, loin de nos pourquoi.
Si pouvoir - équivalait à vouloir -Ténu serait - le Critère -C'est l'ultime de la Parole -Que l'impuissance à dire. Emily DickinsonJe suis dans cette impuissance-là.
Kay
Katherine Pancol, Un homme à distance (coll. Livre de Poche, 2004)
07:28 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |