Propos sur le bonheur (28/10/2010)

Bloc-Notes, 28 octobre / Les Saules

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Le bonheur, c'est un peu comme la communication en entreprise: plus on en parle et plus on s'en éloigne! Au point que ces deux thèmes très représentatifs de notre société - de ses interrogations, de ses doutes, de ses appréhensions - sont devenus l'objet de toutes les convoitises: on voudrait pouvoir acheter les réponses à ce désarroi des temps modernes - qui passe souvent par les livres - comme on irait chez le boulanger pour résoudre le problème de la faim ou dans les salons pour venir à bout de celui de la solitude. Une quête de satisfaction, en somme, plutôt qu'une volonté de bonheur...

Pourtant, l'homme - vous, moi, tous les autres - change si peu au fil des siècles. Il suffit de relire la Bible, Platon, les Stoïciens, Pascal et tous les anciens pour s'en convaincre. Plus près de nous, prenez Alain - de son vrai nom Emile-Auguste Chartier - philosophe et professeur, contemporain de Paul Valéry: entre 1925 et 1928, il publie ses Propos sur le bonheur. Pas de recettes universelles, de méthodes prétendues infaillibles, de vérités opposées au mensonge comme on tend à le démontrer si souvent de nos jours. Par des approches variées, sur le mode d'une conversation entre amis, il ouvre des voies, réduit notre cécité, prodigue çà et là quelques conseils non dépourvus d'humour, sans démagogie ni suffisance. Il s'adresse à l'homme qui ne sait pas: celui qui hésite, celui qui cherche, laissant à d'autres, heureusement, le mirage des certitudes en toutes choses.

Chacun peut y trouver matière à sa réflexion personnelle: qu'il s'agisse de la mélancolie - on prend son chagrin comme un mal de ventre -, de la volonté - ne regardez pas au-delà de vos mains -, de la passion - cette activité physique qui nous échappe -, des voyages - ne pas s'endormir dans la coutume -, de la destinée - cette puissance intérieure qui finit par trouver passage -, de l'avenir - jeter du lest et se laisser porter au vent -, de la mort - l'imaginaire toujours est notre ennemi -, thèmes choisis parmi une centaine de chapitres courts consacrés à bien d'autres domaines encore et qui, ensemble comme dans un kaléidoscope aux couleurs inestimables saisies dans un rais de lumière, donnent un sens à la vie. 

Le point commun de ces Propos sur le bonheur? L'action, toujours, exprimée par la bienveillance, le sourire ou la générosité: Dans cet art d'être heureux, auquel je pense, je mettrais d'utiles conseils sur l'usage du mauvais temps. Au moment où j'écris, la pluie tombe; les tuiles sonnent; mille petites rigoles bavardent; l'air est lavé et comme filtré; les nuées ressemblent à des haillons magnifiques. Il faut apprendre à saisir ces beautés-là. Mais, dit l'un, la pluie gâte les moissons. Et l'autre: la boue salit tout. Et un troisième: il est si bon de s'asseoir dans l'herbe. C'est entendu; on le sait; vos plaintes n'y retranchent rien, et je reçois une pluie de plaintes qui me poursuit dans la maison. Eh bien, c'est surtout en temps de pluie, que l'on veut des visages gais. Donc, bonne figure à mauvais temps.

Le bonheur serait-il, finalement, plus simple que nous le pensons, semblable à un feu qui n'attend qu'un allumette - la nôtre et non celle des autres - pour s'épanouir dans la cheminée et réchauffer toute la maison? Alain nous montre le chemin: Ne laisse pas ton bois pourrir dans ta cave...  

Alain, Propos sur le bonheur (coll. Folio Essais/Gallimard, 2000)

00:07 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature: essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |