Erri de Luca (02/06/2014)
Erri de Luca, Le poids du papillon (coll. Folio/Gallimard, 2012)
Sa mère avait été abattue par un chasseur. Dans ses narines de petit animal se grava l'odeur de l'homme et de la poudre à fusil. Lui, c'est un chamois qui a grandi tout seul, sans règles, a rejoint un troupeau et s'y est imposé. Devenu le roi des chamois, un matin de novembre, vieillissant, il sent que l'heure de la fin de sa suprématie est proche, malgré son instinct de survie. Il sait, au crépuscule de sa vie, qu'il va devoir affronter cet autre roi, le chasseur braconnier, cet ermite des montagnes, dont le temps lui semble aussi compté et qui n'accepte pas l'idée de mourir: Les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin. (...) Sa canne en cerisier est munie d'une pointe en fer pour goûter le sol, elle a le son ami des pas d'un aveugle.
Entre l'homme et l'animal - deux créatures libres, solitaires et justes - le face à face aura bel et bien lieu, après tant d'années de ruses, d'observations silencieuses, de stratégies déjouées dans l'air raréfié de la haute montagne...
Métaphore de la vie, ce court récit de 70 pages pourrait être lu en une heure, mais telle une pierre brute qui prend du temps à épouser les contours de la main et se joue des jeux d'ombre ou de lumière sur le fil mystérieux des saisons, l'intensité et la signification de chaque mot impose la patience, la respiration, la lenteur. Plaisir rare de lecture, d'amour et de poésie mêlés, cernant - d'une écriture aussi ascétique que le physique de l'écrivain - avec une infinie douceur la montagne, le coeur et l'âme, plus facétieuse que la volonté de l'homme, sous la forme d'un papillon blanc qui passant de l'arme de l'homme à la corne du chamois donne un sens au récit dans tout ce qu'il effleure. Aussi mordante et douce que le vent qui nous pousse à travers les sentiers escarpés, l'histoire s'achève sur une victoire - que j'éprouve beaucoup de peine à ne pas vous révéler - qui ressemble à une défaite... Lisez Le poids du papillon, et vous comprendrez!
00:01 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |