Morceaux choisis - Caterina Bonvicini (01/01/2012)

Caterina Bonvicini

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Le mari de Lisa s'était lancé à cette époque dans une démarche concrète et éprouvante. Il avait un besoin désespéré d'aller de l'avant, surtout pour jouer un rôle de père avec un minimum de sérénité. Alors il enlevait les photos de la chambre, les vêtements de l'armoire, les chaussures de la cave. Il m'expliquait que son fils était trop petit pour affronter le problème de la mort. Tôt ou tard, il poserait des questions, c'est sûr. Mais tous les psychologues lui conseillaient de repousser autant que possible cette discussion.

Pour les parents, c'est différent. Les souvenirs sont tout ce qui reste.

Pour les amis aussi, c'est différent. Il n'est absolument pas nécessaire d'oublier pour affronter le futur. Ainsi, après le déjeuner, sa mère et moi sommes montées au grenier.

Elle voulait m'offrir ses vêtements. Les vêtements légers, décolletés, fleuris qu'on s'échangeait tout le temps. Mon coeur battait à tout rompre. "J'espère que je rentre encore dedans, disais-je, j'ai un peu grossi." En même temps, je fouillais dans ses affaires. Mon Dieu, qu'elle était ordonnée. Ses sacs, par exemple, étaient tous remplis de papier de soie. Elle ne voulait pas les abîmer.

"Prends ce que tu veux, Clara - Vraiment?" Mes choix faisaient beaucoup rire sa maman. Une veste que Lisa avait usée jusqu'à la corde, un pull taché, un T-shirt avec un lapin qu'elle mettait pour dormir. "Il y a aussi des choses plus jolies, ma chérie. Tu es sûre de vouloir tout ça?" J'étais sûre. Heureuse même. De la sentir sur moi.

La tombe était un rectangle de terre délimité par des cailloux. En théorie, il devait y avoir de l'herbe. Mais la saison n'avait pas été bonne et personne n'avait eu le courage de semer du gazon. Alors, il y avait des bouquets desséchés, des petits mots imbibés d'eau de pluie, des pots de fleurs sans fleurs. J'observais les nveloppes, l'encre qui avait bavé et le papier gondolé. Dieu sait ce que pouvaient écrire les gens. Jai allongé le bras: je caressais la terre, la laissais pénétrer sous mes ongles. De temps en temps, je déplaçais quelques cailloux, pour élargir furtivement ce périmètre.

Caterina Bonvicini, Le lent sourire (Gallimard, 2011)

03:00 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |