Tiziano Scarpa 1a (21/03/2011)
Bloc-Notes, 21 mars / Les Saules
La Pietà était une des quatre institutions de la république vénitienne où l'on élevait les petites orphelines, leur offrant une éducation, un métier et une chance de s'insérer dans la société, pas seulement en leur trouvant un mari, mais en leur permettant aussi de donner des cours particuliers de musique. Certaines pensionnaires étaient membres de la formation musicale de l'orphelinat, grâce à laquelle affluaient le public, les bienfaiteurs et les donations nécessaires pour la bonne marche de cette maison de charité. La maîtrise instrumentale exceptionnelle des musiciennes de la Pietà attirait les auditeurs de toute l'Europe, surtout pendant les décennies où le père Antonio Vivaldi prêta son génie incomparable à cette institution.
Tiziano Scarpa est venu au monde dans ce lieu - une chambre de l'ancien orphelinat où Vivaldi enseignait et dirigeait ses élèves - devenu dans les années 60 la maternité de l'hôpital de Venise. Si on ajoute que son premier 33 tours reçu en cadeau était Les quatre saisons, on comprend qu'il a grandi et vécu à l'ombre de ce compositeur auquel il voue une si grande admiration. A ce dernier il consacre son dernier livre - il s'agit bel et bien d'une fiction romanesque - Stabat mater où se mêlent avec beaucoup de bonheur l'inspiration et la réalité.
Le fil conducteur du récit est celui de Cécilia, recueillie au XVIIe siècle à la Pietà. Pour échapper à l'univers austère et rigoureux de l'orphelinat dirigé par des religieuses, elle écrit à sa mère dont, avec douleur, elle imagine les contours, lui exposant sa quête identitaire, son amertume et son sentiment d'abandon. Cécilia confie aussi ses interrogations à cette tête - ses cheveux sont une masse de serpents noirs - représentant la mort et qui, magnanime, lui insufflera le souffle nécessaire pour que sa vie prenne un sens: Je ferai silence autour de toi, je ne réclamerai rien, parce qu'un jour tu me donneras tout, je t'offrirai par avance un peu de la paix qui te revient.
Et cette paix lui viendra par l'exercice du violon dont la pratique, chaque jour à l'église, suscitera l'admiration teintée d'un brin de jalousie du père Antonio Vivaldi, devant son incroyable talent. Davantage qu'un hommage au Maître, ce roman, qui baigne dans une atmosphère typiquement vénitienne, est un voyage méditatif dans l'âme des interprètes, dont la musique dévoile l'intimité mieux que les mots ne sauraient la traduire.
Nous sommes une enveloppe qui secrète de la musique. Nous sommes des fantômes qui soufflent une substance impalpable. On nous trouve belles parce que nous sommes mystérieuses et que nous diffusons de la beauté. L'artifice de la musique masque notre affliction, dit Cecilia. Plus loin encore: Nous sommes le son pur, la voix coupée du corps. (...) Nous jouons de la musique sous l'eau. Nous jouons de la musique dans le ventre de notre mère, dans les viscères de la mort. Nous sommes des poissons abyssaux et chantons de n'être jamais venus au monde. La musique se propage dans l'eau noire. Les hommes et les femmes de la ville marchent sur les rives, passent dans leurs barques. Nous sommes les sirènes qui chantent au fond de l'eau trouble, personne n'écoute notre chant noir.
Les amoureux d'Antonio Vivaldi et de Venise adoreront ce court divertissement et titillera, je l'espère, leur curiosité à propos du créateur de la Stravaganza dont les biographes depuis près de trois siècles, n'ont pas encore su délivrer tous les mystères, ni étouffer tous les rêves...
Tiziano Scarpa, Stabat mater (Bourgois, 2011)
08:17 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |