Le poème de la semaine (14/01/2015)
Paul Eluard
Dans le château des pauvres je n’ai pu t’offrir
Que de dire ton cœur comme je dis mon cœur
Sans ombre de douleur sans ombre de racines
En enfant frère des enfants qui renaîtront
Toujours pour confirmer notre amour et l’amour
Le long effort des hommes vers leur cohésion
Cette chaîne qui sort de la géhenne ancienne
Est soudée à l’or pur au feu de la franchise
Elle respire elle voit clair et ses maillons
Sont tous des yeux ouverts que l’espoir égalise
La vérité fait notre joie écoute-moi
Je n’ai plus rien à te cacher tu dois me voir
Tel que je suis plus faible et plus fort que les autres
Plus fort tenant ta main plus faible pour les autres
Mais j’avoue et c’est là la raison de me croire
J’avoue je viens de loin et j’en reste éprouvé
Il y a des moments où je renonce à tout
Sans raisons simplement parce que la fatigue
M’entraîne jusqu’au fond des brumes du passé
Et mon soleil se cache et mon ombre s’étend
Vois-tu je ne suis pas tout à fait innocent
Et malgré moi malgré colères et refus
Je représente un monde accablant corrompu
L’eau de mes jours n’a pas toujours été changée
Je n’ai pas toujours pu me soustraire à la vase
Mes mains et ma pensée ont été obligées
Trop souvent de se refermer sur le hasard
Je me suis trop souvent laissé aller et vivre
Comme un miroir éteint faute de recevoir
Suffisamment d’images et de passions
Pour accroître le poids de ma réflexion
Il me fallait rêver sans ordre et sans logique
Sans savoir sans mémoire pour ne pas vieillir
Mais ce que j’ai souffert de ne pouvoir déduire
L’avenir de mon cœur fugitif dis-le toi
Toi qui sais comment j’ai tenté de m’associer
A l’espoir harmonieux d’un bonheur assuré
Dis-le toi la raison la plus belle à mes yeux
Ma quotidienne bien-aimée ma bien-aimante
Faut-il que je ressente ou faut-il que j’invente
Le moment du printemps le cloître de l’été
Pour me sentir capable de te rendre heureuse
Au cœur fou de la foule et seule à mes côtés
Nul de nous deux n’a peur du lendemain dis-tu
Notre cœur est gonflé de graines éclatées
Et nous saurons manger le fruit de la vertu
Sa neige se dissipe en lumières sucrées
Nous le reproduirons comme il nous a conçus
Chacun sur un versant du jour vers le sommet
Oui c’est pour aujourd’hui que je t’aime ma belle
Le présent pèse sur nous deux et nous soulève
Mieux que le ciel soulève un oiseau vent debout
C’est aujourd’hui qu’est née la joie et je marie
La courbe de la vague à l’aile d’un sourire
C’est aujourd’hui que le présent est éternel
Je n’ai aucune idée de ce que tu mérites
Sauf d’être aimée et bien aimée au fond des âges
Ma limite et mon infini dans ce minuit
Qui nous a confondus pour la vie à jamais
En nous abandonnant nous étions davantage
Ce minuit-là nous fûmes les enfants d’hier
Sortant de leur enfance en se tenant la main
Nous nous étions trouvés retrouvés reconnus
Et le matin bonjour dîmes-nous à la vie
A notre vie ancienne et future et commune
A tout ce que le temps nous infuse de force
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:04 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (2) | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
tout émue de lire et de découvrir ce beau poème d'Eluard
Écrit par : gilda nataf | 03/05/2010
"A tout ce que le temps nous infuse de force", cette force qui, contrairement aux apparences, croît avec le temps ... Merci Claude
Écrit par : DELORD Monique | 29/08/2010