28/01/2015
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
23:10 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
Sylvie Germain
Elle est la peau du temps; du temps qui passe et glisse et disparaît, et sans cesse s'avance dans la clarté du jour, et sans cesse s'efface dans l'ombre, dans la brume, s'enfonce dans la nuit puis resurgit au jour. Elle est le mystérieux frisson qui parcourt la peau du temps, la fait trembler. Un frisson de fatigue, d'émoi, de tendresse ou de peine. Mais jamais de colère. Non, jamais lors de ses apparitions, il n'y eut en elle, autour d'elle, la moindre vibration de violence. Elle est la peau du temps, du temps des hommes. La tendre et vulnérable peau du visage et du corps des humains. La peau du coeur humain. Elle est l'infiniment doux frisson de compassion qui parcourt cette peau vaste comme le monde et longue comme l'histoire. Peut-être est-elle l'écho lointain de la pitié de Dieu. Cette pitié immense, immense et incessante qui parcourt le monde en suppliant qu'on la reçoive, qu'on écoute sa plainte. Cette pitié manante qui traverse l'histoire en boitant sous le fracas sans cesse recommencé des guerres, des crimes, de tout le sang versé. Mais on la chasse de partout, on ne sait qu'alourdir le poids de sa douleur, le poids de l'ombre et du sang et des larmes dans les plis de sa robe en haillons. Elle ne se lasse cependant pas d'en appeler à chacun, à tous.
Sylvie Germain, La pleurante des rues de Prague (Gallimard, 1992)
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; citations; livres | | Imprimer | Facebook |