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03/12/2014

Le poème de la semaine

Georges Perros

Les guerres n'est-ce pas
Ça éclate ça mobilise
Ça fait quitter son foyer
Les hommes trouvent normal 
D'aller à la guerre
Comme on va aux champignons
Les hommes ne sortiront jamais
De cette ornière
La guerre est un bail à renouveler
La guerre est devenue
La condition de la paix
La révolte de la sérénité.
 
Tant que les hommes sages
Diront oui
A la guerre
Où on les envoie
Sans qu'ils sachent très bien pourquoi
Tant que les hommes ne diront pas
Non
A ce goût qu'ils ont de l'aventure
Quand elle les rend plus amis
Qu'ils n'auraient jamais osé l'être
Dans la quotidienneté
Tant qu'on tuera des hommes
Comme on tue des puces, des moustiques,
En disant que c'est terrible, ces petites bêtes
De les tuer,
Tant que la passion d'être
Aura partie liée avec le meurtre
Tant qu'il y aura des comédiens
Qui joueront avec talent
Ce qui fut vécu
Ce qui le sera
Mais ce qui ne l'est jamais
Ce qui ne peut l'être
Pendant leur propre, leur pauvre existence
Tant que nous aurons besoin
De nous dédoubler, de nous divertir
D'apprendre avec émotion
Nostalgie
Culpabilité
Que des hommes meurent
Pour des raisons
Qui nous paraissent vraies
Incomparables
Et que nous en parlerons
Avec émotion
Frissons dans le dos
Un whisky-soda s'il vous plaît
Ce sera non.
 
La guerre entre les hommes
Est peut-être inévitable
Un mauvais rêve du bon Dieu
Tout le troupeau en uniforme
On y court tous comme des lapins
A la guerre.
 
Nous avons fini par comprendre
Que nous sommes tous colonisés
Que l'homme est une colonie
Apte à la liberté d'être
Qui commence
Par le partage du pain et du vin
Et si personne ne fait ce pain
N'écrase ce raisin
Eh bien nous apprendrons à faire
À écraser, à sulfater, à pétrir
Nous deviendrons des paysans
Ce que nous sommes tous
Malgré la citadineté
Qui nous enveloppe
comme des saucissons, des momies.
 
La terre n'en tournera pas moins
Comme une folle
Autour du fou par excellence
De ce sanglant dégoulinant
Qui sait si bien
Nous foutre mal au crâne
Et nous noircir la peau
De cet ivrogne dans l'azur
Qui fait mûrir
Qui fait pourrir
Qui dit le sec et le mouillé
Sur nos fronts partitions striés
Sans la moindre musique à l'intérieur
Rengaine où sanglote la source
Barques sur le dos
O nos révoltes grains de sable
Poussière dans le vent fané
Qui nous redira folle course
La joie farouche
Des chevaux du langage
Quand tout était encore tremblant
D'avoir liberté de mourir
Quand tout faisait encore semblant
De l'oublier dans un sourire
Les temps sont venus de la mort
De qui portes-tu le deuil, Terre,
Grosse de tant de cadavres
Que leur innocence a trompés
Mais dont l'âme flotte
En nos rêves
Nous ne pourrons jamais plus vivre
A marcher sur vos jeunes os
A piétiner votre colère
Nous ne pourrons jamais plus rire
Comme il faudrait de bas en haut
La glotte folle,
Avec cet ogre en nos poitrines
Qui nous ronge nous fend la peau
Allez
Car nous serons bientôt ensemble
Dans la bohème du caniveau
Nous fuirons en faisant la planche
Vers d'autres rêves d'autres feux
Autour desquels perdre nos rimes
Qui ne sont plus d'amour
Ni d'aise
Il est fondu, notre métal
Nous nous retrouverons bientôt.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle